Mal aimé de la musique française, cette année est celle du centième anniversaire de sa mort.
Il est surtout connu du grand public par le « Carnaval des animaux » et la « Danse macabre ». Pourtant il est un compositeur prolifique et touche-à-tout. Il compose 3 Symphonies dont la dernière est jouée quelques fois car, elle nécessite un grand orgue, instrument peu usité dans une symphonie avec orchestre. On peut nommer Mahler, Guilmant, Jongen, Copland. Son œuvre comporte aussi, 5 concertos pour piano, 3 concertos pour violon, 2 concertos pour violoncelle, des opéras dont le plus joué est « Samson et Dalila », 1 Requiem, 2 sonates pour violon et piano, la première pose l’énigme de la petite phrase musicale de la « Sonate de Vinteuil » dans «A la recherche du temps perdu » de Proust qui serait le premier thème du premier mouvement. Il compose aussi 1 quatuor avec piano, 1 quintette, des sonates pour divers instruments, 1 pièce très virtuose au programme de nombreux violonistes de talent « Introduction et rondo capriccioso », etc.
Musicien précoce, très influencé par Wagner qu’il renie à la suite du conflit franco-prussien de 1870, revanchard, il milite pour une musique française, patriotique. Il crée la SNM - Société Nationale de Musique. Personnage controversé comme l’auteur d’un romantisme attardé, pompier, franchouillard. Il n’en reste pas moins un grand compositeur qui a marqué son époque. Il est un homme de transition à cheval sur deux siècles qui ont connu de grands revirements picturaux, littéraires et musicaux. L’un finissant, l’autre débute avec toutes les nouveautés et les scandales dans tous ces domaines, comme en 1902 avec « Pelléas et Mélisande » de Debussy, en 1913 avec le « Sacre du printemps » de Stravinsky, et l’arrivée de la nouvelle école viennoise dans l’atonal et le dodécaphonisme de Schoenberg, Webern, Berg. Il va tout de même faire œuvre de pionnier en écrivant la première musique du film de 1908, « L’assassinat du Duc de Guise ». Il est d’ailleurs intéressant de se rendre sur Youtube pour le voir diriger d’une gestuelle fictive une de ses œuvres, petit documentaire réalisé par Sacha Guitry et d’entendre les commentaires de ce dernier (site : Sacha Guitry et Saint-Saëns).
Jusqu’à la fin de sa vie, il reste fidèle à ses idées, il ne sera pas un novateur et ne suivra pas les nouveaux courants. Malgré tout, il gardera une tendresse particulière pour Wagner, même s’il s’en défendra, il ne pourra se passer de se rendre à Bayreuth sur la colline .
Il a été le maître de Messager qui dirigera la première de Pelléas, et de Fauré dont un des élèves marquera la musique française, Maurice Ravel.
Concert Fauré
Si on regarde la programmation récente des concerts en France à travers la musique française du premier tiers du XXe siècle, deux compositeurs se taillent la part du lion, Claude Debussy et Maurice Ravel. Certes leur place est méritée. Cependant d’autres créateurs d’esthétique différente mériteraient de figurer plus souvent sur l’affiche : Déodat de Séverac, Gabriel Dupont, Jean Cras, Albert Roussel, Charles Koechlin, André Caplet, etc. Et Gabriel Fauré (1845 – 1924). Bien qu’élève de Saint-Saëns (1835 - 1921), les deux musiciens appartiennent à la même génération et seront liés.
Que nous proposent nos musiciens pour ce concert Fauré ? Cinq œuvres dont les quatre premières n’excèdent pas quatre minutes chacune (sauf Dolly dans son intégralité). Petites friandises goûteuses ou agréables « mises en oreille » ? Peut-être, mais en fait bien plus que cela. Toutes datées des vingt dernières années du XIXe siècle, ces œuvrettes témoignent du talent de Fauré et de la richesse mélodique qui les imprègne. Datant de 1896, les six pièces de Dolly exigent deux pianistes se partageant le clavier du piano pour exprimer le charme, la tendresse, l’espièglerie, la grâce, esquisser des pas de valse et une danse espagnole très en vogue à cette époque (que l’on pense à Espana de Chabrier ou Iberia de Debussy ou encore la Rapsodie espagnole de Ravel). Répondant peut-être aux Scènes d’enfants schumanniennes, Dolly sera suivi par les Children’s corner de Debussy en 1908 et Ma Mère l’Oye de Ravel en 1910 spécialement pour quatre mains. Dans la production fauréenne, le chant tient une place centrale. De 1861 jusqu’à 1921, presque chaque année, Fauré composa une ou quelques mélodies quand ce n’était pas un recueil tels La Bonne Chanson op 61 (1892/4), La Chanson d’Eve op 95 (1906), Le Jardin clos op 106 (1914), Mirages op 113 (1919)et L’horizon chimérique op 118 (1921). Les Berceaux opus 23 (1879), cette belle mélodie mêle « grands vaisseaux » et (petits) berceaux dans un même balancement consolateur. La parole chantée sera remplacée par le violoncelle, heureux substitut de la voix humaine, dans cette version. La Berceuse pour violon et piano (1878) pleine de charme est basée sur une forme classique avec répétition du thème, exposée ensuite une quarte au-dessus (en plus aigüe,) développée avec science tout en gardant sa séduction. Cette Berceuse s’inscrit dans la même atmosphère qui prévaudra une vingtaine d’années plus tard dans la Berceuse et Le Jardin de Dolly du cycle Dolly. Délaissant le rêve et la séduction musicale, Papillon (1898) s’incarne dans un violoncelle virtuose mimant le vol désordonné de l’insecte.
Quintette ultime, la grande œuvre de musique de chambre. Salonnarde, précieuse, alambiquée, la musique de Fauré ? A 75 ans, quand il compose son deuxième Quintette pour piano et cordes, opus 115, il offre un merveilleux ouvrage qui contredit absolument les qualificatifs précédents. Utilisant les cadres classiques, il ne révolutionne pas la forme, mais l’utilise en la détournant pour lancer une expression quasi romantique, sans ses excès. Le thème introductif du mouvement, constamment soutenu par le piano, est réutilisé tantôt plus grave, tantôt plus aigu pour unifier son cours vigoureux procédant par élans successifs (comme ceux du flux et du reflux d’une forte marée) non dénué parfois d’un peu de nostalgie. Toujours dans un équilibre délicat, la musique oscille entre une vigueur vivifiante que le motif initial ravive à plusieurs reprises et une fine tendresse qui s’insinue à travers les entrelacs résolus, apaisant momentanément la coulée mélodique que les cinq instruments entretiennent. (Ce mouvement intervient dans le film de Bertrand Tavernier, Un Dimanche à la campagne). Délicat et sans perdre sa vigueur, le deuxième mouvement, beaucoup plus court que le précédent, fait appel à des pizzicati. Tout chante, dès le début, rappelant quel mélodiste était Fauré. Lui succède un andante lyrique débutant dans le grave et quel beau chant au bout de la première minute ! Les cordes laissent la place à un piano délicat puis reprennent leur cours plus vif. Parfois scandées par le piano puissant et délicat à la fois, les cordes avancent vers l’aigu puis s’assagissent dans le grave, chantant mezzo voce. Quatrième et dernier mouvement : des ondes sonores qui s’amplifient, toujours les mêmes et pourtant pas tout à fait pareilles, puissantes et aussi délicates. Elles délivrent une musique énergique sans brutalité qui s’écoule dans un dynamisme inscrit dans des vagues d’intensité grandissante imposant cependant un climat serein bien que l’inquiétude ne soit jamais loin.
Les trois mouvements notés allegro (1 - 2 - 4) affirment une sonorité chatoyante sans se départir d’un allant déterminé et sans oublier de chanter en permanence. A remarquer, ces trois mouvements se terminent par des accents volontaires et affirmatifs dans le forte, renforcés par un piano percussif.
Pour rester dans le domaine de la musique de chambre, Fauré à l’âge de soixante dix-sept ans livra un Trio pour violon (ou clarinette), violoncelle et piano op 120 (1922-23), monument de musique de chambre d’une force lyrique et d’une délicatesse mélodique rares. Et à l’inverse de beaucoup de ses prédécesseurs, Fauré composa en 1887 un Requiem non tonitruant jouant plutôt dans l’émotion et la douceur. Il faudrait encore noter que Fauré fut au Conservatoire national de musique à Paris de 1905 à 1920 un directeur craint et hardi qui participa en 1910 à la création de la Société Musicale Indépendante ouverte à tous les courants concurrençant la Société Nationale de musique plutôt nationaliste née en 1871 après la défaite militaire infligée par la Prusse.
Né au milieu du XIXe siècle, Fauré n’inscrit pas sa musique dans les bouleversements esthétiques du début du XXe siècle (l’impressionnisme de Debussy, l’expressionnisme des débuts de Schoenberg, la musique folklorique que l’on redécouvre alors en Espagne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Norvège et dans bien d’autres contrées, la musique dodécaphonique, etc.). Plus modestement, dans les dernières années de sa vie, il joue une partition éloquente, gorgée de mélodisme et d’une ampleur remarquable.
Joseph Colomb - avril 2021
2021 : Les cent ans d’Astor Piazzolla
Le compositeur argentin Astor Piazzolla (1921– 1992) ne voulait faire que de la musique classique, il voulait être Bartók ou Stravinsky ! Il étudie donc le piano à New York et la composition en Argentine mais il doit jouer du bandonéon pour gagner sa vie. Il obtient en 1954 une bourse pour étudier à Paris et devient ainsi l’élève de Nadia Boulanger, au Conservatoire américain de Fontainebleau. Paradoxalement, c’est elle qui le décide à composer des tangos en renouvelant leurs codes esthétiques. Piazzolla crée alors un style qui révolutionne le genre traditionnel : le tango nuevo.
En Argentine, le tango est plus qu’une tradition, c'est une fondation culturelle immuable. Piazzolla en saisit l’esprit mais l’exprime à travers une nouvelle voix savante aux influences baroques, classiques et jazz qui lui donne ses lettres de noblesse et la dissocie de la danse.
Bandéoniste de génie, le compositeur argentin visionnaire a laissé une œuvre aussi colossale que magistrale. En 1990, deux ans avant sa mort, il caressait « l’illusion » que son œuvre serait « écoutée en 2020. Et en 3000 aussi » … Et jusque-là, son rêve est devenu réalité : ses quelques huit cents pièces (dont certaines sont particulièrement célèbres comme Libertango ou Oblivion) continuent d’être jouées dans le monde entier. Lui qui se rêvait grand pianiste ou chef d’orchestre, nous laisse une synthèse entre le tango traditionnel et les bases de la musique savante qu’il a toujours admirée.